Découvrez le métier de restaurateur avec Jean Délivré, auteur du diagnostic réalisé en avril dernier sur le cénotaphe de Montaigne.
Interview réalisée par Agathe Boismorand de la Team Montaigne.

Agathe Boismorand : Pouvez-vous définir en quelques mots ce qu’est le métier de restaurateur ?

Jean Délivré : Le restaurateur est souvent confondu avec l’artiste ou l’artisan d’art, mais contrairement aux artistes, il ne crée pas d’objets culturels nouveaux. Il intervient sur les objets avec des traitements appropriés et un code de déontologie reconnu au niveau international. Et pour connaître ces règles strictes, il doit suivre une formation bien spécifique en conservation et restauration.

Il s’agit de bien distinguer le simple bricolage et les « pratiques sauvages » des interventions professionnelles techniques et scientifiques de conservation-restauration. Seuls les spécialistes qualifiés sont en mesure d’apporter des conseils sérieux et de faire la différence entre conserver, restaurer, réparer ou rénover.

Le restaurateur Jean Delivré et la Team Montaigne autour du cénotaphe

Le restaurateur Jean Delivré et la Team Montaigne autour du cénotaphe

 

AB : Restauration ou rénovation, quelle différence ?

JD : Rénover est rendre neuf à nouveau, ce qui n’est pas du tout le but de la restauration au sens large… Il y a cinq grandes étapes, citées par Madeleine Malfatto, l’une de mes collègues :

– Le diagnostic
Il consiste à déterminer les matériaux constitutifs et l’état de conservation, à identifier la nature, l’étendue et les causes des altérations, puis à déterminer le type et l’étendue de l’intervention sur l’objet.

-La conservation préventive
Elle consiste à agir plutôt indirectement sur l’objet afin d’en retarder la détérioration en créant les conditions optimales de préservation. Par exemple, en peinture murale la plus importante des dégradations est l’eau, due aux couvertures et enduits extérieurs défectueux, aux remontées humides, à une ventilation insuffisante. On veille alors à établir les meilleures conditions d’environnement possibles pour que l’oeuvre soit préservée.

-La conservation curative
Comme son nom l’indique, elle « soigne ». L’intervention sur l’objet est directe mais limitée et a pour but de retarder les dégradations. Elle participe de la conservation préventive. Dans le cas des peintures murales, elle peut se porter par exemple uniquement sur les consolidations des enduits porteurs de décors.

-La restauration
La restauration proprement dite, est une intervention directe sur l’objet qui doit être très respectueuse : les retouches sont limitées, identifiables et réversibles, rien n’est inventé

-La documentation
C’est-à-dire le rapport où sont consignées toutes les opérations entreprises, les informations techniques, iconographiques, historiques. Pour ce faire, il est important d’avoir des relations avec des archéologues, des historiens, des laboratoires d’analyses scientifiques. La documentation est nécessaire sur des chantiers importants et réglementés institutionnellement (protection MH).

AB : Pourquoi avez-vous choisi de travailler sur la restauration du cénotaphe de Montaigne ?

JD : Je n’ai pas « choisi » de faire l’étude du cénotaphe, pas plus qu’un médecin ne choisit son malade : c’est l’institution publique qui lance un appel à candidature et propose à au moins trois restaurateurs de se présenter avant d’être choisi. Dans le cadre de cette commande, il s’agissait seulement d’établir le diagnostic de l’oeuvre. C’est monsieur Della Libera, conservateur du Patrimoine à la Ville de Bordeaux, qui a été le commanditaire de cette étude. J’ai été très heureux de pouvoir expertiser cette oeuvre, d’autant que j’ai déjà eu l’occasion de travailler pour le musée d’Aquitaine, sur la statue du Jupiter de Mézin en particulier. Ce fut une intervention très intéressante, qui s’était très bien déroulée.

AB : Pourquoi avoir accepté cette offre alors que vous habitez dans la région d’Ile-de-France ?

JD : Le métier de restaurateur est un métier nomade, il faut sans cesse se déplacer… Aujourd’hui, par exemple, j’ai parcouru 140 km en voiture pour exercer mon métier !
Et puis, la restauration du cénotaphe de Montaigne est une restauration passionnante de par son histoire et le personnage de Montaigne !

AB : Que représente Montaigne pour vous ?

JD : A mon sens, Montaigne est l’un des plus grands écrivains de France, avec Proust. C’est un homme qui, parmi ses contemporains, a fait un retour sur soi et une profonde réflexion sur lui. Il s’est confronté aux hommes et à la politique de son temps, à ses responsabilités et à la réalité.
D’ailleurs, il est très intéressant de travailler sur le cénotaphe de Montaigne, car il montre l’écrivain-philosophe mais dévoile également une autre facette de l’homme : sa noblesse. Le gisant nous montre un Montaigne en armure, un Montaigne chevalier ! C’est une œuvre très importante au niveau de son histoire, Montaigne est un personnage célèbre qui a gardé toute sa notoriété.

AB : Combien de temps prendra la restauration du cénotaphe de Montaigne ? Pouvez-vous nous expliquer les différentes étapes de la restauration du monument ?

JD : D’après mon rapport d’étude, la restauration durera 40 jours maximum. C’est un travail méthodologique mais en même temps très concret et manuel. Après la rédaction du rapport d’étude viennent les étapes de la conservation préventive et curative, qui ne sont pas indispensables ici car l’environnement dans lequel se trouve le cénotaphe est tout à fait correct et le monument n’est pas en état d’instabilité. Reste les étapes de la restauration et de la documentation prévue pour l’automne 2017. Lorsqu’on procède à la restauration, on prend des photos et des notes, intégrées ensuite précisément dans le rapport d’intervention. Ce rapport constitue une trace très concrète et complète sur la restauration du monument qui peut ensuite faire l’objet d’une restitution et d’une explication au grand public.

Pour en savoir plus sur les missions du restaurateur : www.ffcr.fr (Fédération française des conservateurs-restaurateurs).

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