Récurrent dans l’iconographie occidentale, le symbole du lion représente généralement le courage ou la force. Situé aux pieds de Michel de Montaigne, ce lion réunit d’autres caractéristiques bien plus singulières…

Cénotaphe de Montaigne.

Cénotaphe de Montaigne, détail, collection musée d’Aquitaine

Un lion à deux langues

Le tombeau de François II et Marguerite de Foix, père d'Anne de Bretagne, sculpteur Michel Colombe, XVIe siècle. Cathédrale Saint Pierre et Saint Paul de Nantes.

Le tombeau de François II et Marguerite de Foix, père d’Anne de Bretagne, sculpteur Michel Colombe, XVIe siècle. Cathédrale Saint Pierre et Saint Paul de Nantes. Photo : Loïc LLH

Le cénotaphe, en tant que monument funéraire, donne à voir les qualités, les mérites et les valeurs du défunt. Ici, le lion témoigne à la fois de la richesse de son savoir et de l’autorité de l’homme tout en s’inscrivant dans la tradition iconographique de l’époque. Sculpté à la fin du XVIe siècle, le cénotaphe correspond à la mode de l’époque. Accompagner le gisant par un lion ou un chien est fréquent, il protège ainsi le défunt – bien que cette tradition tend à disparaître à cette période.

Couché aux pieds du gisant, selon la tradition médiévale, un curieux lion, à la crinière formée de longues boucles à l’anglaise, semble doté de deux langues. Une allusion probable aux deux langues que maîtrisait Montaigne, à savoir le grec et le latin. Elles soulignent également la présence des deux épitaphes grecque et latine situées de part et d’autre du cénotaphe.

C’est un précepteur allemand qui enseigna le latin à l’humaniste, ensemble ils n’échangeaient qu’en latin. Une règle rigoureuse que Montaigne partageait également avec sa mère, ses valets et ses chambrières. Quant à l’apprentissage du grec, celui-ci se fit par multiples exercices et débats : “nous pelotions nos déclinaisons à la manière de ceux qui, par certains jeux de tablier, apprennent l’arithmétique et la géométrie. Car entre choses, il avait été conseillé de me faire goûter la science et le devoir par une volonté non forcée et de mon propre désir, et d’élever mon âme en toute douceur et liberté, sans rigueur et contrainte.”

 

Montaigne, homme de bravoure

Courage, force et puissance sont évoqués à l’unisson par la présence de ce lion sur le cénotaphe. Si nous n’imaginons pas Michel de Montaigne comme un homme politique fort et acerbe mais plutôt comme un penseur solitaire isolé dans sa librairie, il n’en reste pas moins un homme politique doué, fin diplomate et habile stratège.

En effet, nous connaissons moins Montaigne pour ses actes de bravoure que pour ses écrits ! Néanmoins, l’exercice de ses deux mandats successifs comme maire de Bordeaux de 1581 à 1585 atteste de ses qualités d’honnête homme avec lesquelles il administre sagement la ville. Lors de son second mandat, il a notamment contesté fortement les guerres de religion et servi d’intermédiaire entre le maréchal Matignon, gouverneur de Guyenne, dévoué à Henri III et Henri de Navarre, chef des huguenots en les recevant dans son château en 1584.

Élu par les jurats en 1581, contre son gré, notamment pour ses qualités de modération, Michel de Montaigne s’est révélé être un maire juste et avisé, dont la présence du lion à ses pieds manifeste sa grandeur.

Cénotaphe de Montaigne.

Cénotaphe de Montaigne, vue de face, collection musée d’Aquitaine

Une faute de goût ?

Avez-vous remarqué que le lion disposé aux pieds de Montaigne, ne correspond pas au style de l’ensemble du cénotaphe ? À juste titre, car ce lion n’est pas l’original !

Découvrez son histoire dans le prochain article : « Un lion sous toutes les convoitises ».

Sources :

Jean-Yves Boscher, Les pérégrinations du cénotaphe et des cendres de Montaigne, tapuscrit, centre de documentation du musée d’Aquitaine.