Le cénotaphe de Montaigne en tant que monument funéraire est le témoignage de toute une vie. Les monuments funéraires s’érigent selon les croyances du défunt, sa richesse ou le style de l’époque. Mais surtout, ils sont destinés à laisser à la postérité une image conforme au défunt, ou tout du moins celle qu’il souhaitait faire perdurer de lui.

C’est pourquoi la manière dont Montaigne est représenté n’est pas anodine. Vous l’aurez sûrement déjà remarqué le grand érudit, pourtant philosophe, écrivain et maire de Bordeaux à deux reprises, est représenté en armure.

Cénotaphe Michel de Montaigne (détail inscription)

Cénotaphe de Michel de Montaigne (1533-1592)

Un noble gisant

Cénotaphe Michel de Montaigne

Cénotaphe Michel de Montaigne

Le gisant, Michel de Montaigne, est revêtu de son armure et paré du collier de l’ordre de Saint Michel, l’épée au côté et le casque à l’arrière de la tête. Traité avec réalisme, tous les éléments de l’armure sont décrits avec précision : le casque « armet » fermé, orné d’un « plumail », les cuissards représentés en arceaux d’écrevisse et des « solerets » pour protéger les pieds en pied d’ours, quant aux épaulières, cubitières protégeant les coudes, et genouillères, elles sont également ornementées.

Rappelons que Montaigne est issu de la noblesse. La carrière des armes est un lien fort qui unit le roi à ses sujets mais surtout un lien qui unit le roi à la noblesse. C’est en effet le roi qui a le pouvoir d’anoblir. Servir dans l’armée c’était donc servir le roi. Il était fréquent de voir les familles nobles envoyer l’aîné de leur fils dans les rangs de l’armée. Il s’agissait d’une preuve de gratitude et de dévotion au souverain. De plus, il n’était pas rare de voir des familles tirer leur noblesse d’un fait de guerre extraordinaire d’un de leurs aïeuls.

L’enrichissement de la famille de Michel de Montaigne par le commerce et la participation de certains de ses membres à la vie politique locale lui a ouvert les portes de la noblesse, en 1519. Ses origines nobles ont conduit Montaigne à servir le roi au sein de l’armée. Néanmoins cette partie de sa vie reste relativement floue pour les historiens qui doutent de son engagement effectif sur les champs de bataille. D’ailleurs, dans les Essais, Montaigne fustige la guerre qui provoque la « ruine et la perte de notre propre espèce » (Essais, II, 12.). Lui qui a connu et vécu les guerres de religion, elles n’ont été pour lui qu’une preuve de plus de la cruauté humaine.

Peut-être pouvons-nous y voir également un hommage à son père, Pierre Eyquem de Montaigne, connu pour sa participation à la campagne d’Italie aux côtés du roi François 1er. C’est un homme qui a beaucoup compté pour Montaigne comme en témoignent les écrits de ce dernier. Il le décrit comme un homme doux et qui fut à l’origine de sa solide instruction.

Cénotaphe de Montaigne.

Cénotaphe de Montaigne.

A la postérité

Montaigne est connu pour de nombreuses fonctions que lui a permis d’assumer la solide éducation reçue au cours de sa jeunesse. Il fut notamment magistrat, diplomate, écrivain et maire de Bordeaux à deux reprises. Mais c’est bien en homme d’armes qu’on a voulu le présenter : le seigneur Michel de Montaigne, fier de sa récente noblesse, en armure de son temps. Il s’agit d’une armure du type de celles du milieu et de la fin du XVIe siècle. Là où d’autres auraient pu attendre l’effigie d’un maire ou mieux encore de l’écrivain-philosophe ; c’est la reconnaissance sociale qui importait alors le plus.

Aujourd’hui, nous en gardons l’image d’un humaniste de la Renaissance qui continue encore d’influencer de nombreux courants intellectuels en France comme à l’étranger. Aussi cette représentation en armure a-t-elle de quoi surprendre aujourd’hui, mais elle n’en reste pas moins un hommage fidèle à l’homme de son temps.

 

Sources :

Philippe Desan, Montaigne: Une biographie politique, éd. Odile Jacob, 2014.
Jean-Yves Boscher, Les pérégrinations du cénotaphe et des cendres de Montaigne, tapuscrit, centre de documentation du musée d’Aquitaine.