Entre les deux épitaphes du cénotaphe de Montaigne, celle en grec se distingue par son genre et son registre. Écrite à la première personne, elle semble vouloir glorifier Montaigne presque à l’excès ! En effet, il y est présenté comme l’un des plus sages et des plus éclairés des hommes, lui qui n’avait de cesse de rappeler sa condition de simple mortel…
Tout comme l’épitaphe latine, l’épitaphe grecque est attribuée à Jean de Saint-Martin. On peut supposer que Françoise de la Chassaigne, épouse de Montaigne et commanditaire du cénotaphe, commanda aussi cette seconde épitaphe. Mais ce texte se distingue de son pendant latin sur de nombreux points. La langue, pour commencer, mais aussi la manière dont l’hommage est rendu au défunt.
L’ensemble a été traduit en 1861 par Reinhold Dezeimeris et réétudié par Alain Legros de la façon suivante :
« Voyant ce tombeau et mon nom, passant, tu t’interroges :
Montaigne est-il donc mort ? Mets fin à ta stupeur.
Ils n’étaient pas à moi, ce corps, cette noble race, ce malheureux bonheur,
ces dignités, pouvoirs, jouets mortels de Fortune.
Enfant divin venu du ciel, je suis descendu chez les Celtes,
non le huitième des sages de Grèce, ni le troisième
des Ausoniens, mais valant à moi seul tous les autres,
par profonde sagesse et langage fleuri,
alliant à l’enseignement chrétien le doute
pyrrhonien. Et voici la Grèce assaillie par l’envie,
et encore l’Ausonie, mais j’arrêtai ces envieuses querelles,
regagnant ma patrie en montant chez les dieux. »
Une épitaphe élogieuse
Le texte est situé sur le cénotaphe à l’opposé de l’épitaphe latine. Montaigne maîtrisant aussi bien le latin que le grec, la présence des deux langues est peut-être une manière de rappeler ce fait – de la même façon que les deux langues de la sculpture du lion.
Contrairement à l’épitaphe latine, celle-ci fait directement parlait Montaigne, comme s’il s’adressait aux lecteurs. Le texte évoque la manière dont Montaigne, tel un être divin, s’est s’élevé au dessus de l’existence des autres mortels. L’épitaphe nous renvoie ainsi, d’une part à notre condition de simple mortel, et d’autre part, à l’oeuvre qu’il a accompli de son vivant.
Plus qu’un hommage, une glorification
L’épitaphe rappelle ainsi certaines actions du philosophe en évoquant des épisodes de la mythologie antique. Le texte associe alors la vie de Montaigne avec les dimensions épique et extraordinaire des légendes gréco-romaines. S’ajoute notamment la comparaison de l’auteur des Essais avec les sept sages du monde antique, le présentant comme supérieur à eux tous réunis…
L’esprit, certes brillant, de Montaigne y est ainsi loué et glorifié. Mais cette glorification peut paraître orgueilleuse ; et c’est justement ce qui peut surprendre. En effet, de nombreuses maximes, que Montaigne a tirées de l’antiquité, rappelaient la mortalité de l’être humain et la vacuité de son orgueil. La présence des vanités de part et d’autre de l’épitaphe parait alors bien ironique, puisqu’elles sont censées rappeler à chacun sa condition de mortel !
Présentant Montaigne comme immortel, l’épitaphe rappelle qu’il a accédé à une forme bien particulière d’immortalité : celle de ceux qui rentrent dans l’Histoire. Et, bien que Montaigne ne se voyait pas comme un être quasi-divin, ce monument funéraire permet de l’élever parmi les plus grands hommes de son temps et de le transmettre à la postérité.
Source :
– Jean-Yves Boscher, Les pérégrinations du cénotaphe et des cendres de Montaigne, tapuscrit, centre de documentation du musée d’Aquitaine.
– A. Legros, « Deux épitaphes pour un tombeau », in Montaigne et sa région, numéro spécial du Nouveau Bulletin de la Société Internationale des Amis de Montaigne, IV, 2e semestre 2008, p. 391-400, avec illustrations et références bibliographiques (J. Lapaume, R. Dezeimeris, Ph. Desan, J. Balsamo, O. Millet).
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