Fin 2018, des observations ont été effectuées dans le tombeau présumé de Michel de Montaigne, implanté dans les sous-sols du musée d’Aquitaine. Elles ont permis de constater la présence, au niveau supérieur, d’un cercueil en bois avec une plaque en cuivre doré portant l’inscription « Michel de Montaigne » ainsi que, au niveau inférieur, d’un crâne.
Si l’existence de ce tombeau est attestée depuis 1886, année de la ré-inhumation de la dépouille du philosophe au sein de la Faculté des sciences et lettres de Bordeaux (aujourd’hui, le musée d’Aquitaine), de nombreux doutes subsistent quant à l’identification de cette dépouille. En effet, les restes de Michel de Montaigne ont connu, au fil des siècles, d’importants déplacements, en raison des multiples évolutions architecturales qu’a connues le couvent des Feuillants, où Montaigne fut inhumé initialement, remplacé successivement par le Lycée de Bordeaux puis la Faculté des sciences et lettres.
Plusieurs questions ainsi se posent : Est-ce que le cercueil qui se trouve dans les sous-sols du musée d’Aquitaine abrite bien les restes de Michel de Montaigne ? À qui appartient le crâne placé dans la partie inférieure du tombeau ? Quelle est l’histoire de ce monument et des restes qu’il contient ?
Pour tenter de répondre à ces questions, il est apparu nécessaire d’entreprendre une fouille archéologique. Un comité scientifique, constitué d’historiens, d’archéo-anthropologues et d’une paléogénéticienne, a été mis en place afin de superviser ce projet de recherche, tandis qu’une équipe de spécialistes a été constituée pour le mener à bien. Une demande de recherche archéologique a été déposée auprès du service régional d’archéologie (SRA) de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) Nouvelle-Aquitaine. Après examen du dossier, la Commission Territoriale de Recherches Archéologiques a donné son accord pour l’ouverture du tombeau.
Une fouille archéologique programmée
L’opération de fouille est pilotée par Hélène Réveillas, archéo-anthropologue au Centre Archéologie Préventive (CAP) de Bordeaux Métropole et rattachée au laboratoire PACEA (UMR 5199 CNRS, Université de Bordeaux), accompagnée de 3 autres spécialistes : Juliette Masson pour l’étude du bâti (CAP et Ausonius, UMR 5607 Université Bordeaux Montaigne), Hubert Pradier pour les relevés topographiques (Géosat) et Loïc Espinasse pour les relevés 3D (Archéovision, Université Bordeaux Montaigne). Plusieurs chercheuses interviendront également ponctuellement : Christelle Belingard, pour les analyses sur le bois de cercueil (Géolab, Université de Limoges) et Marie-France Deguilloux, paléogénéticienne (PACEA) pour les analyses ADN.
Cette étude archéologique et archéo-anthropologique s’accompagne d’une étude historique, qui amène à retracer l’histoire de Montaigne et des lieux qui lui sont liés : Que connaît-on du couvent des Feuillants – autrefois à l’emplacement de l’actuel musée d’Aquitaine – et de sa chapelle Saint-Bernard, dans laquelle le philosophe était inhumé ? Pourquoi ce dernier a-t-il été inhumé précisément à cet endroit-là ? Quelles sont les causes de l’incendie de la chapelle en 1871, qui a amené à déplacer les restes humains qu’elle contenait jusqu’au cimetière de la Chartreuse à Bordeaux ? Est-ce que le tombeau que nous connaissons aujourd’hui, réalisé par l’architecte Charles Durand, en 1886, pour accueillir les restes de Montaigne dans la toute nouvelle Faculté des sciences et lettres (aujourd’hui, le musée d’Aquitaine), abrite bien le corps de Michel de Montaigne ?
Au-delà de l’identification d’une figure emblématique, cette recherche donne aussi l’occasion de comprendre le paysage culturel et économique de Bordeaux, depuis la seconde moitié du XVIe siècle jusqu’à la fin du XIXe, et de nous interroger sur les phénomènes politiques et sociaux ayant eu cours dans ce quartier historique du bourg Saint-Eloi, à mi-chemin entre le pouvoir communal (Grosse Cloche) et le pouvoir ecclésiastique (cathédrale Pey-Berland).
Pour mener à bien les travaux, diverses pistes d’analyses et d’études sont lancées : recherches d’archives, fouille du tombeau, analyse des restes osseux, reconstitution 3D, etc. Elles permettront ensuite, en se fondant sur un véritable dossier scientifique, de proposer une valorisation auprès de la communauté des chercheurs◦ses et du grand public par le biais de publications et de parcours d’exposition sur le sujet.
Les péripéties de la dépouille de Montaigne (1533-1592) :
- 1592 : Michel de Montaigne décède en son château de Saint-Michel-de-Montaigne.
- 1593 : son cercueil est installé dans la chapelle du couvent des Feuillants à Bordeaux, à l’emplacement de l’actuel musée d’Aquitaine.
- 1603 : le cénotaphe et le cercueil de Montaigne sont installés dans l’église rénovée des Feuillants.
- 1802 : le couvent des Feuillants est remplacé par un lycée ; le cénotaphe et le cercueil sont alors installés dans la chapelle du lycée.
- 1871 : la chapelle du lycée est incendiée. Les restes de Montaigne sont provisoirement transportés au dépositoire du cimetière de la Chartreuse à Bordeaux.
- 1886 : les restes sont une nouvelle fois déplacés dans la nouvelle faculté des sciences et lettres, dont on achève la construction à l’emplacement de l’ancien couvent des Feuillants. Le tombeau, réalisé par l’architecte Charles Durand pour le compte de la Ville de Bordeaux, est alors placé presque à l’aplomb du cénotaphe, qui lui-même est installé dans le hall de la faculté.
Depuis cette date, le tombeau n’avait jamais été ré-ouvert.
Tombeau et cénotaphe
Œuvre majeure des collections du musée d’Aquitaine et classé au titre des monuments historiques, le cénotaphe de Michel de Montaigne a été réalisé à la toute fin du XVIe siècle, à la demande de la veuve du philosophe, Françoise de la Chassaigne. Littéralement « tombeau vide », le cénotaphe est un monument élevé à la gloire du défunt, mais qui ne contient pas son corps ou ses cendres. Avant que les restes du philosophe soient transférés au cimetière de la Chartreuse, en 1871, il se dressait au-dessus du tombeau. Désormais exposé dans les salles du musée d’Aquitaine, le cénotaphe de Michel de Montaigne a été restauré en 2017.
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