Nous gardons de Michel de Montaigne l’image d’un homme aux multiples facettes, tantôt écrivain et philosophe, tantôt maire de la ville de Bordeaux, ou encore maître de céans sur ses terres de Montaigne. Au fil des siècles, des centaines de portraits de Montaigne se sont répandus dans le monde. De nombreux artistes en ont produits et reproduits, tentant de s’approcher au plus près de l’image de l’ancien maire de Bordeaux ou, au contraire, d’en livrer leur propre interprétation. Reproduction après reproduction, l’original disparaît au profit du légendaire.

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Le cénotaphe de Michel de Montaigne, collection musée d’Aquitaine. Photo : Léo Fievet – mairie de Bordeaux

Le portrait le plus fidèle ?

Dans la biographie de Stefan Zweig consacrée au philosophe, l’écrivain nous transcrit un portrait inspiré des descriptions faites par Montaigne dans ses Essais :

« Montaigne est, comme son père, étonnamment petit […]. Un corps robuste et sain, un visage finement dessiné, à l’ovale étroit, au nez délicat, aux courbes harmonieuses, un front dégagé, des sourcils bien arqués, une bouche charnue dans la petite barbe châtain qui l’assombrit comme une intention secrète – telle est l’image que le jeune Montaigne offre au monde. » (p. 53-54)

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Portrait de Montaigne, attribué à Dumonstier, musée de Condé. Photo : Giraudon

La plus ancienne des statues de Montaigne est celle qui repose sur son tombeau. A la demande de sa défunte épouse, Françoise de la Chassaigne, on élève à sa mémoire un monument funéraire. La commande est sans doute donnée aux ornemanistes Pierre Prieur et Jacques Guillermain. Michel de Montaigne est alors représenté en armes, le visage vieilli, le front dégarni, et on imagine même qu’il porte une barbe grisonnante… Toutefois, Montaigne y est sculpté plus grand que nature : le gisant aurait environ 10 cm de plus que la taille réelle de l’homme.

Cette représentation, exécutée peu de temps après sa mort, semblerait être une des plus justes. Philippe Desan, montaigniste et auteur de l’ouvrage Portraits à l’essai : iconographie de Montaigne, nous en fait part dans cette interview.

Dans cet ouvrage nous est présenté l’un des plus anciens portraits de Montaigne, attribué à Dumonstier, en 1578. Cette effigie servira de modèle pour nombre de futurs portraits. Et c’est encore de nos jours la représentation qui fait référence, la plus connue et la plus diffusée.

 

Dissemblances chez Montaigne

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François Gaspard Lanno, buste de Montaigne, 1838, Hôtel de la préfecture de Périgueux. Photo : Bernard Dupuy

En 1832, François Gaspard Lanno, premier prix de Rome en 1827, exécute une statue pour la ville de Périgueux. En 1858, furent érigées deux statues en marbre, que les Bordelais connaissent bien, de Montaigne et de Montesquieu, par le sculpteur italien Dominique Fortuné Maggesi.

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Statue de Montaigne, Dominique Fortuné Maggesi, place des Quinconces à Bordeaux. Photo : Nella Buscot

 

 

 

 

 

 

 

Estampe de Montaigne, Thomas Le Leu, 1608. Photo : wikipédia

Estampe de Montaigne, Thomas Le Leu, 1608. Photo : wikipédia

 

 

Une autre représentation célèbre de Montaigne est une estampe de Thomas Le Leu. Elle représente Montaigne tête nue, presque chauve, figure de trois quarts tournée vers la droite, les yeux regardant fixement le spectateur. Il est vêtu d’un vêtement de satin brodé, une large fraise entoure son col et il porte sur sa poitrine le collier de l’ordre de Saint Michel. C’est, semble-t-il, une des plus authentiques représentations. Réalisé en 1608, il s’agit, comme le portrait de Dumonstier, de l’un des premiers portraits de l’écrivain.

La vie de Montaigne a également fourni des sujets de tableaux, notamment la mort de Montaigne, représentée par Robert Fleury en 1853 et évoquée dans l’article « Montaigne face à la mort ».

 

Montaigne revisité : les interprétations contemporaines

Statue de Montaigne, Nicolas Milhé, Palais de Justice de Bordeaux - photo : Joséphine Duteuil

Statue de Montaigne, Nicolas Milhé, Palais de Justice de Bordeaux. Photo : Joséphine Duteuil

En 2014, la sculpture de Nicolas Milhé rejoint la salle des Pas Perdus du Palais de Justice de Bordeaux, au côté d’une statue de Montesquieu. Il s’agit bien de Michel de Montaigne, mais cette fois, ni collier de saint Michel, ni fraise, ni armure, c’est en costume trois pièces que Montaigne est représenté ! Un habit contemporain pour évoquer l’actualité et la pertinence des idées et des écrits de Montaigne aujourd’hui.

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Robert Combas, Roma, Bordeaux, 1984, Collection CAPC – musée d’art contemporain de Bordeaux. Photo : F. Delpech

 

Quelques années plus tôt, l’artiste Robert Combas avait également tiré le portrait de Montaigne. Intitulé « Roma, Bordeaux », ce tableau de grandes dimensions fut commandé par le CAPC – musée d’art contemporain de Bordeaux en 1984 pour l’inauguration du musée. L’auteur des Essais y est représenté de trois quarts, très stylisé bien que la fraise soit conservée. Les cardinaux entourant Montaigne sont caricaturés. Dans son rôle de provocateur, Combas cherche toujours à choquer et transforme Montaigne en mettant l’accent sur sa nudité et sa sexualité. L’œuvre est actuellement visible dans l’exposition de la Bibliothèque Mériadeck « Montaigne Superstar ».

 

Sources :

« Les portraits de Michel de Montaigne », Actes de l’Académie de Bordeaux, 1892

Stefan Zweig, Montaigne, 1982

Philippe Desan, Portraits à l’essai : iconographie de Montaigne, 2007

www.montaignestudies.uchicago.edu