Deux inscriptions funéraires se trouvent de part et d’autre du cénotaphe de Michel de Montaigne, l’une en grec, l’autre en latin. Ces deux épitaphes rendent chacune et de façon différente hommage au philosophe.

L’épitaphe latine immortalise la vie de Montaigne. Attribuée à Jean de Saint-Martin, un érudit et avocat bordelais, il la rédigea probablement à la demande de Françoise de la Chassaigne, épouse de Montaigne. C’est elle qui fit édifier le cénotaphe, en l’honneur de son époux, comme l’indique d’ailleurs l’un des deux médaillons qui encadre l’épitaphe.

Cénotaphe de Montaigne, musée d'Aquitaine

Cénotaphe de Montaigne, épitaphe latine. Photo : Léo Fievet, mairie de Bordeaux

 

L’ensemble a été traduit en 1861 par Reinhold Dezeimeris et réétudié par Alain Legros de la façon suivante :

« A Michel de Montaigne, périgourdin, fils de Pierre, petit-fils de Grimond, arrière petit-fils de Raymond, chevalier de Saint Michel, citoyen Romain, ancien maire de la cité des Bituriges Vivisques, homme né pour être l’honneur de la nature et dont les mœurs douces, l’esprit fin, l’éloquence toujours prête et le jugement incomparable ont été jugés supérieurs à la condition humaine, qui eut pour amis les plus grands rois, les premiers personnages de France, et même les chefs du parti de l’erreur, bien que très fidèlement attaché lui-même aux lois de la patrie et à la religion de ses ancêtres, n’ayant jamais blessé personne, incapable de flatter ou d’injurier, il reste cher à tous indistinctement, et comme toute sa vie il avait fait profession d’une sagesse à l’épreuve de toutes les menaces de la douleur, ainsi arrivé au combat suprême, après avoir longtemps et courageusement lutté avec un mal qui le tourmenta sans relâche, mettant d’accord ses actions et ses préceptes, il termine, Dieu aidant, une belle vie par une belle fin. »

L’épitaphe s’accompagne de deux médaillons en marbre rouge précisant :

« François de la Chassaigne, vouée, hélas, à un deuil perpétuel, a fait ériger ce monument pour son époux chéri, homme d’une seule épouse, pleuré à juste titre par la femme d’un seul homme. »

« Il est mort à 59 ans, 7 mois, 11 jours, en l’an de grâce 1592 aux ides de septembre. »

Une oraison authentique

Le cénotaphe de Montaigne à la faculté des sciences et des lettres de Bordeaux, photo de Jules-Alphonse Terpereau

Le cénotaphe de Montaigne à la faculté des sciences et des lettres de Bordeaux, photo de Jules-Alphonse Terpereau

Si l’on considère l’épitaphe latine comme officielle, ce n’est pas sans raison. D’une part, la langue utilisée, le latin, est plus répandue que le grec pour les inscriptions funéraires. D’autre part, cette épitaphe est située sur le côté le plus orné et le plus travaillé du monument funéraire. Le texte latin est donc mis en exergue contrairement au texte grec. De plus, cette épitaphe a longtemps été la seule visible. En effet, lorsque le cénotaphe se trouvait dans la chapelle de l’ancien couvent des Feuillants, devenu alors le Lycée de Bordeaux, il était disposé contre un mur. L’épitaphe grecque ainsi cachée, seule l’épitaphe latine s’offrait donc au regard des lycéens.

Enfin, le contenu de l’épitaphe la rend plus officielle que l’épitaphe grecque. Le texte latin est moins surprenant que le texte grec qui lui, fait parler Montaigne à la première personne – ce qui est assez inhabituel. Découvrez l’épitaphe grecque dans cet article !

 

Un éloge particulier

cénotaphe Michel de Montaigne (détail inscription)

Cénotaphe de Montaigne, détail, médaillon en marbre rouge encadrant l’épitaphe latine. Photo : Léo Fievet, mairie de Bordeaux

L’épitaphe latine raconte, de façon concise et élogieuse, les faits marquants de la vie de Michel de Montaigne. Elle fait notamment référence à son voyage en Europe, ainsi qu’aux actions qu’il a pu mener en tant que maire de Bordeaux. Y sont soulignées aussi les nombreuses amitiés qu’il a pu nouer, tant parmi les lettrés que parmi les rois, tant parmi les catholiques que les protestants. C’est donc principalement ses qualités humaines et intellectuelles qui sont vantées ici. Quitte à trancher avec la représentation en armes du philosophe bordelais.  En effet, l’épitaphe ne fait nullement mention d’action guerrière à laquelle Montaigne aurait pu prendre part. Bien au contraire, cette épitaphe semble davantage montrer le philosophe comme médiateur et négociateur, que comme guerrier… Le combat de Montaigne fut intellectuel !

L’épitaphe latine adopte néanmoins un point de vue particulier sur le philosophe. Plus qu’un simple rappel de la vie de Montaigne, c’est aussi l’image d’un intellectuel et d’un homme juste que sa femme a voulu transmettre à la postérité. Ce texte, comme l’ensemble du cénotaphe, nous offre donc une représentation remarquable de Michel de Montaigne et constitue un témoignage important sur son histoire.

 

Source :

– Jean-Yves Boscher, Les pérégrinations du cénotaphe et des cendres de Montaigne, tapuscrit, centre de documentation du musée d’Aquitaine.

– A. Legros, « Deux épitaphes pour un tombeau », in Montaigne et sa région, numéro spécial du Nouveau Bulletin de la Société Internationale des Amis de Montaigne, IV, 2e semestre 2008, p. 391-400, avec illustrations et références bibliographiques (J. Lapaume, R. Dezeimeris, Ph. Desan, J. Balsamo, O. Millet).

Commentaires

  1. Lehuu Duc

    Nous ne pouvons qu’admirer la sagesse de Montaigne, il etait pas seulement en avance de son époque mais de la notre meme. Si les Chinois appellent leur Confucius ‘le maitre de dix mille générations ,on peut dire que la France a en la personne de l’ancien maire de Bordeaux le sage humaniste pour cent siècles!

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